" Le Démiurge, dit mon père, n'a pas eu le monopole de la création: la création est le privilège de tous les esprits. La matière possède une fécondité infinie, une force inépuisable et en même temps une puissance de séduction qui nous pousse à la modeler. Dans les profondeurs de la matière se dessinent des sourires imprécis, des conflits se nouent, des formes ébauchées se condensent. Elle ondoie tout entière de possibilités inachevées qui la traversent de frissons vagues. Dans l'attente d'un souffle vivifiant, elle oscille sans fin et nous tente par des millions de courbes molles et douces nées de son délire ténébreux.
" Privé d'initiative propre, malléable et lascive, docile à toutes les impulsions, elle constitue un domaine sans loi, ouvert à d'innombrable dilettantismes, à la charlatanerie, à tous les abus, aux plus louches manipulations démiurgiques. Elle est ce qu'il y a de plus passif, de plus désarmé dans l'Univers. Chacun peut la pétrir et la façonner à son gré. Toutes les structures de la matière sont fragiles et instables, sujettes à régression et à dissolution.
Pages 77 et 78
Editions Denoël, 1974