Pascaline Boura le blog : maison du miroir

Le môme

Le môme n'a pas l'idée du vol ou de la propriété: là où se trouve la planche aux couleurs, il faut qu'il aille la chercher, comme il va chercher des herbes bien vertes à l'autre bout du terrain vague, comme le petit chien brun allait chercher de la nourriture à l'extérieur. Il ne pense pas à ce qu'il y aura à l'intérieur du grand abri d'où sortent les sacs bleus et les couleurs: dans sa séquence d'images il rentre dedans et tombe tout de suite sur des tas de sacs bleus et des tas de planches aux couleurs qu'il n'appelle pas encore palette.

 Il se met donc dans son trou sous la palissade à la tombée de la nuit, et il attend. Il attend en regardant le défilé d'images qui se pressent devant ses yeux, pas les images de la rue déserte et des abris, mais les images, superposées à celles de la rue, des tableaux à venir qui essaient de sortir de lui et lui font des fourmis dans les mains. Il suit les images des yeux et ses mains s'agitent dans l'air, comme s'il peignait déjà, et il se retient d'aboyer, car il est tout près des abris. Il voudrait peindre encore le petit chien, quand il est revenu vers lui en rampant, le ventre ouvert et rouge, le drenier jour. Il voudrait peindre l'intérieur de son abri, un peu sombre et qui le rassure, et aussi des fleurs du terrain vague qu'il n'a jamais vues avant, toutes petites et violettes, même s'il n'aime pas trop le violet parce qu'il trouve que le bleu et le rouge ne s'entendent pas bien et se disputent souvent. Ca lui fait même mal aux yeux de regarder le résultat, parfois.

                                            Pages 84 et 85

                                            Librairie José Corti, 2008