(... ) , mais désormais l'idée de la fin présente en tout être, en toute chose, ne cessait de l'habiter, parfois terriblement aîguë, parfois à peine sensible, tel un mal encore en sommeil. Oui, il ne se rapelait plus où ni quand, mais il savait que, ce jour là sa jeunesse lui avait donné congé. Cependant, à côté de lui, si proche que, souvent, un cristal trompeur semblait seul l'en séparer, s'étendait cette contrée où rien ni personne ne redoutait de périr, cette terre de la joie enfantine et du savoir définitif. Avec une passion totale, intransigeante, Masson s'accrochait à elle et voulait en exprimer l'essence avec des formes et des couleurs . Plus tard il lui suffirait de se dire que, sur deux ou trois bonnes toiles, pas plus, il avait traduit cet univers pour penser qu'il n'avait pas tout à fait perdu son temps. D'ici là ... ( ... )
( ... ). Masson, néanmoins, ne croyait guère qu'il put s'agir d'une simple réminiscence car il n'assistait pas seulement à la scène: il continuait à la vivre, avec ses multitudes nuances affectives, dans son déroulement premier. Le temps, ainsi que Swaine l'avait dit, subissait une mystérieuse réfraction qui faisait coïncider au même point deux époques distinctes, celle de l'enfant et celle de l'adulte. Le peintre éprouvait en lui une confuse dualité : un moi abandonné, quelque part, sur les rives du sommeil et l'être qui regardait maintenant les choses de ses yeux émerveillés. Plus tard, il estima qu'il avait approché là l'essentiel de son aventure onirique, ce que le vieux professeur appelait le doute perpétuellement en suspens.
" Le seuil du Jardin " de André Hardellet
Le livre de poche, Jean- Jacques Pauvert 1966