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                                                    Le peintre Marsabiel

 

    Un de mes amis m'avait souvent parlé de ce peintre Marsabiel, qui demeure au bout de la rue de Charonne, comme d'un être curieux. Et je me décidai un matin à aller voir  le personnage. 

    Il habitait au fond d'une cour occupée par un nourrisseur, un charron et une blanchisseuse, cour pleine de fumier, de poules, de chiens, d'enfants, de linge étendu et de grosses roues de voitures. Pour parvenir chez M.Marsabiel, il fallait monter un raide petit escalier de bois qui conduisait à une galerie au premier étage donnant sur la cour et criblée de portes jaunes. Les murs étaient couverts d'inscriptions ; c'était comme une sorte de registre des allées et venues des locataires et connaissances . Les : Je suis en face - Je rentrerai tout à l'heure - Un tel est venu aujourd'hui, 5 mai - Bonjour par Robert, - etc., étaient partout. La porte de M. Marsabiel, distinguée des autres par un énorme  rouge, était surtout surchargée de ces inscriptions, mêlées de dessins, de caricatures gravées au canif, tracées au charbon ou à la craie et même au pinceau. Il y avait un :" VIVE MARSABIEL ! PEINTRE d'HISTOIRE ! " qui passait en travers sur le tout en lettres majuscules comme les noms de contrées sur les cartes de géographie.

   Au moment de frapper j'entendis la voix d'un perroquet à l'intérieur. - Voilà, pensais-je, un homme simple, qui aime les oiseaux et se retire dans un faubourg de Paris pour y vivre à meilleur marché et se livrer plus facilement à son goût pour les animaux.

  Je frappais :

  " Entrez " cria une voix où tous les accents les plus extravagants, marseillais, franc-comtois, picard, normand, alsacien semblaient s'être réunis.

  

 

   J'entrai et me trouvai tout étourdi du lieu et du personnage. De la poussière, des ordures, des tessons de pots, d'horribles loques, des gravats de la muraille, de la terre de sculpteur desséchée, formaient de véritables tas. Une odeur de moisi et d'humide vous affadissait le coeur. Le personnage, chauve, avec une immense barbe et deux dents d'une longueur extraordinaire qui lui tenaient les lèvres entr'ouvertes, l'air jeune et vieux à la fois, était lui-même comme un résumé de son atelier, indescriptible et sordide. Il me dit un salut profondément respectueux, accompagné d'un sourire narquois ou banal, qui me troubla.

   En même temps mes yeux étaient assaillis par tant de colorations terribles, par tant d'énormes toiles suspendues partout, que je ne sus plus pendant un moment où j'étais et que je me sentis plein de mélancolie, comme un homme qui s'est fourré lui-même dans un guêpier.

  - Ah, ah ! fit Marsabiel avec un accent nasillard, traînant et singulier, monsieur est amateur de peinture ! Voilà mes petites rognures de palette, ajouta-t-il en me désignant une quinzaine de gigantesques toiles, un cent d'autres petites, sans compter plusieurs gros rouleaux à terre et quelques piles de châssis tournés contre la muraille.

   En ce moment la voix du perroquet cria :

   Marsabiel est un grand peintre !...

   Je me retournais effaré.

 - Ah ! c'est mon critique d'art, me dit le peintre avec son sourire qui faisait douter s'il n'était pas le plus malin ou le plus idiot des hommes .

 

 

Pages 10 et 11  Editions L'ECHOPPE, 2013  ( version de 1867 , parue dans la revue La Rue )

 

 

          

                

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